Bonjour,
Vous êtes tombé par hasard sur cette lettre et vous la lirez peut être, par ennui ou simplement par curiosité, l’important étant de la lire et de la méditer.
A Patras en Grèce, un groupe d’homme avait encerclé la voiture alors qu’elle était arrêtée et avait demandé s’il pouvait s’y cacher afin de prendre le bateau pour l’Italie. Mon père leur avait dit que non, qu’il risquait trois ans de prison et qu’il avait deux enfants. Le groupe s’était écarté. En Italie, à l’arrivée, plusieurs jeunes avaient été arrêtés par la douane.
Aujourd’hui, des Hommes sont prêts à s’accrocher au-dessus des roues d’un camion, à se cacher dans les freins d’atterrissage d’un avion, à traverser la Méditerranée sur un bateau pneumatique pour fuir l’enfer de leur vie. Aujourd’hui, des hommes, des femmes, des enfants meurent pour ne pas être nés au bon endroit. Aujourd’hui, ces mêmes hommes, femmes et enfants attendent. Attendent que l’on daigne les apercevoir, que l’on daigne considérer que leur vie a peut-être une quelconque valeur. Que l’on admette qu’eux aussi sont des Hommes. Mais ces faits sont trop lointains. On ne réalise pas, on s’émeut un instant puis l’on tourne la page.
Et l’Europe en fait de même. Notre Europe, leur eldorado, continent des droits de l’homme, de la liberté et de l’égalité refuse de les voir, de considérer, d’admettre . Elle a choisi de leur refuser l’asile et de se décharger le plus possible de leur espérance et de l’horreur de leur situation. Lorsque des milliers de personnes meurent aux portes de nos pays, l’Europe s’aveugle derrière des discours fatalistes, méfiants voire haineux. On nous le répète, «nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde, nous ne sommes pas responsables de leurs conflits, nous ne sommes pas les gendarmes du monde.»
Mais comment, au XXIèmesiècle, pouvons-nous encore laisser des hommes et des femmes, des peuples, périr sous nos yeux ? Comment nous, pays des Droits de l’Homme et de la fraternité, pouvons nous oublier notre humanité et nous enfermer dans notre individualisme ? Pourquoi nous, occidentaux et «pays développés», fermons les yeux et contribuons à la misère des autres? Comment fermer les yeux sur ce chiffre : 30 000. Depuis le début des années 2000, au moins trente milles personnes sont mortes en tentant de traverser la Méditerranée.
Nous nous cachons derrière de grands mots jusqu’à en oublier leurs significations concrètes.
Jusqu’à oublier que derrière ces chiffres ils sont des hommes, des femmes, des enfants. Des noms. Des vies.
La question donc, avant même d’être celle de manifester, de donner, ou d’agir est d’abord de prendre conscience de soi et des autres. De se rappeler que notre bien-être ne peut être vrai s’il se fait par l’occultation de leur misère, de la douleur et de la violence qu’ils subissent. Par l’occultation même de leur mort.
Ce monde ne changera pas si nous ne changeons pas nous-même.
Le but de cette lettre n’est pas de répéter ce que l’on peut entendre tous les jours dans les médias, mais s’il faut commencer quelque part, commençons par une pensée pour chaque vie raccourcie par la folie des hommes. Et ne soyons pas complices, ne serait-ce qu’en ignorant cette pensée.
Merci, bonne journée.
PS: Si cette lettre peut être un lien auquel nous pouvons nous raccrocher, vous êtes invités à la faire lire ou à la reposer à un endroit ou elle le sera. En espérant que vous tombiez sur les prochaines.
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