Asile

Asile

Abdullahi Bah, guinéen, 18 ans, réfugié depuis avril 2016 en Belgique et déclaré majeur par les autorités depuis le 4 septembre 2016 a reçu une réponse négative à sa demande d’asile le 26 février 2017. Abdullahi Bah, devra quitter le territoire Belge, vivre dans la clandestinité ou accepter un rapatriement volontaire dans son pays natal.
Tu m’as dit « j’ai la réponse, je suis négatif ». Et moi je ne sais pas quoi répondre. Je ne sais même pas comment commencer ce texte. Et pourtant j’ai cette sensation d’évidence, cette obligation presque, d’écrire, de t’écrire,
te décrire ? Je ne sais pas. Quand je repense à ton histoire, et aux mots que tu utilisais, quand je repense à tes
larmes, je me dis une chose : asile. Asile c’est un mot qui veut dire beaucoup, c’est un mot qui te donnait espoir. Mais refus d’asile, c’est une antinomie. C’est une association de mots qui ne marche pas, ce n’est pas beau, ça ne veut rien dire. Il n’y a pas de sens au refus d’asile, vraiment aucun. Nous ne devrions pas accepter ce mariage entre la délivrance et le rejet. Et toi maintenant ? Tu as mon âge et tu penses à sortir, à voyager et à changer de coupe
de cheveux, tu écoutes maitre Gimms et quand tu danses, ton sourire éclate et tu ne t’arrêtes plus de rire, tu tournes sur toi même et tu es fier d’être ce que tu es, de danser comme tu danses. Toi, individu, humain, adolescent.
Tu es aussi, celui qui parmi tant d’autre a traversé la mer et a vu des enfants mourir pendant le voyage, emprisonné sans raison en Iran dans des conditions inhumaines et relâché en pleine nuit. Tu as couru pour éviter les balles de la police Bulgare, tu as enjambé les barbelés aux frontières, tu as marché. Des jours et des nuits, des semaines entières, marché, pour fuir le reste, pour atteindre ce but, ce paradis d’illusions. Souvent je me demande, à quoi tu pensais, à quoi tu rêvais ? Qu’est ce qui t’a fait tenir, est ce que c’est Dieu, est ce que c’est l’envie de vivre ? Je me demande vraiment, est ce que tu te souviens seulement ? Et toi, parmi tant d’autre, tu es arrivé à cette douane, tu as levé tes mains au dessus de ta tête et tu as dit : « mon voyage s’arrête ici, et je viens vous demander Asile ». Et là, ton nom inscrit quelque part, un dossier, des démarches mise en place, un centre d’accueil. Et ça va bien, on te demande patience et tu le deviens. Tu es mineur, mais un test basé sur la taille de certains de tes os décide que tu seras majeur en septembre prochain. C’est un détail pour toi, 17 ou 18 ans tu es le même enfant exilé, et ta mère te manque toujours autant. Ce n’est pas un détail pour eux. Tu es changé de centre et la procédure s’accélère, le jour où tu passes pour raconter ton histoire devant les juges, ton avocat ne vient même pas. Tu es seul et tu racontes dans les moindres détails. Tu racontes la prison, et d’où viennent les marques sur ton corps, et comment ils rentrent des piques dans la chair pour te faire avouer une faute que tu n’as pas commise, tu racontes les humiliations, la torture quotidienne, l’absence de lumière. Et devant toi, personne ne cille. Ils cherchent le détail, l’omission d’information, la cohérence du propos. Toi tu t’embrouilles, et ça te fais du mal de repenser à tout ça et ça s’embrument dans ta tête parce que ça se noue dans ta gorge. Tu pleures tu suffoques, je t’ai vu faire des crises de paniques, tu m’avais expliqué « c’est parce j’essaye d’oublier tout ça tu sais, et parler, ça ramène les images ». Mais tu m’avais aussi dit : « de toute façon je ne pourrais pas oublier, alors c’est bien que tu me demande de raconter. Si ça peut aider les gens à comprendre. Moi tout ce que je voudrais, c’est vivre tu vois, je dérangerai personne ». J’ai ton histoire dans la tête et le mot Asile ne résonne plus. Désormais je vois « recours », « clandestinité ». J’avais oublié je crois, que l’injustice est réelle et que cette issue était possible, j’avais commencé à croire sans doute que cette fois non, que pas cette fois, non. Non. Qui sont les coupables ? Est ce que c’est nous, est ce que c’est eux ? Sommes nous si nombreux à baisser les yeux ? J’ai du mal à croire que nous ayons pu en arriver là, une telle absurdité, et une si belle organisation de l’absurde. Des os de poignet pour déterminer, et des cases qui se cochent pour trancher. Mais ce n’est pas un dossier, c’est une personne, ce n’est pas un pourcentage, ni un quota, c’est un humain. J’ai du mal à savoir comment nous pourrons nous en sortir. Ravaler la honte, et regarder dans les yeux, ce garçon qui me regarde. Ecrire, parler, rencontrer, refuser, voter, hurler peut être ?

N’arrêtes pas les pas de celui qui passe devant toi,
Celui qui passe sans papiers,
Celui qui part
Les pas du sans papiers passeront de toute façon
Pâle son visage, passe des nuages,
Les pas sont légers et pourtant le sang des pas,
Le sang des sans… Cent pas et sans papiers
Et dans les airs, les papiers,
S’envolent loin des passeurs de passages
Cent mille pas résonnent dans nos consciences
Et dessinent notre avenir.
Cet avenir Tâche de sang
Taché de sang
Sans pas
Et sans papiers.


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