Presentation de l’exposition

Presentation de l’exposition

Je suis arrivée pour la première fois au centre de Barvaux en aout. J’y suis restée deux
semaines en tant que volontaire européenne. Nous étions huit, portugais, italien, espagnol,
français. Le matin on construisait, on réparait des choses pour améliorer la vie dans le centre.
L’après midi on organisait des activités avec les garçons.
Il n’y avait pas de différence entre nous. La langue bien sur, certains reflexes. Mais sinon, pas de
différence. Nous avons mis du temps à nous apprivoiser les uns les autres. Pourtant au bout de
deux semaines, j’avais rencontré des personnes incroyables, j’avais construit des amitiés fortes,
impérissables.J’ai tellement appris avec eux. J’ai appris la peur de demain, la véritable solitude, l’implacable séparation, l’horreur de l’attente,la haine de l’injustice. J’ai appris malgré tout ça, à rire quand même, à rester léger, j’ai appris les amitiés d’un jour, la force d’un regard, le prix d’un sourire. J’ai appris le courage. Vraiment.
Un courage que l’on n’imagine à peine. Dans ces bribes de récits entendus, ces fragments d’histoires racontées en attendant de manger, ou après un jeu de carte, il y avait une résignation immense qui me révoltait. Ils me disaient la
tragédie de leur vie, les parents tués par les talibans, la précipitation du départ, le danger, l’exil,
la police aux frontières qui les attend, l’existence réduite à un chiffre, à un dossier. Et moi, je prenais conscience. Je dis qu’il n’y avait pas de différence entre nous, parce que c’est vrai.
Eux, c’est nous. Et nous sommes eux.

Je suis revenue en France avec un sentiment de vide. Je pouvais, moi, retourner dans ma
famille, vivre dans ma maison, être avec mes amis, dans mon pays. Tous ces pronoms
d’appartenance auxquels ils ne peuvent plus prétendre. Je suis revenue dans cette réalité qui
oublie que tout ça se passe, que tout ça est en train de se passer. Je suis revenue dans cette
distance qui fait que nous voyons les choses de loin, qui fait que nous pouvons regarder ailleurs
si le problème nous dérange.
Alors je suis retournée là bas en octobre, avec cette fois l’envie de ramener quelque chose. Pour
que tout ça ne reste pas en moi mais que je puisse le partager, j’ai trouvé que c’était important,
car on ne comprend jamais mieux une situation que lorsqu’on peut mettre un visage dessus, un
regard ou un rire. J’ai eu cette idée, une exposition et plus tard un documentaire. Et me voici
maintenant, avec mes photos et mes textes, à tenter de dire quelque chose.
Mes photos ce n’était pas grand chose et pourtant. J’ai su en leur expliquant le projet, à quel
point je leur faisais plaisir. Ils étaient fiers et gênés à la fois. Ils ne comprenaient vraiment pas en
quoi leur histoire pourrait intéresser quelqu’un.
.
J’ai voulu les présenter, après l’enfer de la route, après l’incertitude des frontières. Les
montrer après une douche et un repas, après 7 mois d’attente, d’ennui, de manque et d’espoir.
Iconographiquement, esthétiquement, photogéniquement, nous sommes les mêmes. Pourtant
derrière les sourires, des nuages se dessinent, plus sombres qu’on ne les imagine, plus terribles.
Je voudrais montrer cette ambivalence, mais que l’altérité ne soit pas la première chose à voir.
Que la première chose pour une fois, ce soit l’équité : de nos visages, de nos sourires et de nos
regards.
Il est difficile de rendre compte de tout ça. Mais il est plus important d’essayer.


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