La patience des papillons

La patience des papillons

Lettre à vous tous,

Jules Guesde, Champollion, Joffre. Trois lycées, une vingtaine de classes, des professeurs. Littéraires, scientifiques, sciences éco, BTS, CVPM, des secondes, des premières des terminales. Des clases entières de jeunes, entre 14 et 18 ans, quelques cadres et des morceaux de textes qui tentent d’expliquer certaines choses. Des mystères et des questions qui se posent, des réponses données parfois. Pas toujours.
« Bon… Je n’ai pas de discours particulier à faire, ni de speech tout préparé, alors la rencontre s’alimente surtout de vos questions. Si vous en avez… ». Et toujours cette crainte des premières minutes, Peut être que cette fois, ça n’intéressera pas, et toujours, cette crainte dissipée par les doigts qui se lèvent, et les questions qui s’enchainent. Bien sûr nous n’étions pas toujours d’accord, bien sûr mon discours pouvait sembler abrupt, un peu trop catégorique pour certains. Mais malgré tout, dans les yeux, dans l’écoute et dans le silence de chacun, il y avait l’intérêt, l’envie
d’en apprendre plus, de comprendre mieux. Je pensais que je voulais faire ces rencontres pour parler de mon expérience et à travers elle sensibiliser des jeunes de mon âge, parler de cette problématique si
médiatisée et qui paraît pourtant si lointaine, rendre tout ça réel, individualiser un phénomène historique et géographique, pour lui rendre son caractère humain, sensible et concret. C’était vrai. Mais je me suis rendue compte que c’était aussi pour me sentir moins seule. Pour sentir un instant, l’indignation partagée, sentir que oui, nous ne savons pas quoi faire, mais que nous ne l’acceptons pas pour autant. Cette indifférence qui ronge notre société, cette indifférence à laquelle je refuse de participer car devant les faits, derrière nos écrans

« Le silence s’étend et de loin

Ressemble à une approbation

La victoire de la violence

Paraît totale »

 

Nous avons, ensemble, refusé l’approbation.Je me suis rendue compte que si les rencontres étaient des moments de partageaussi intenses, et si l’émotion était aussi grande entre nous, c’est bien parcequ’elles permettaient, ne serait-ce qu’un instant, ce sentiment de communauté. J’ai rencontré la diversité de notre société, de notre espèce, des garçons et des filles avec leurs différences, et leurs ressemblances, les silencieux et les curieux, ceux qui lèvent la main, ceux qui regardent fixement, ceux qui viennent à la fin juste pour dire merci, ceux qui, par un regard, disent tout ce qu’ils ont sur le coeur. J’ai rencontré cette « jeunesse » ce mot trop général sur lequel tous les discours se fondent. La « jeunesse » qui doit construire demain, la « jeunesse » qui sera responsable, la « jeunesse » qui ne fait rien. Qu’ils arrêtent un instant de parler pour nous, qu’ils arrêtent de nous utiliser dans leur discours pour se donner bonne conscience. Elle vous emmerde la jeunesse. Si nous nous sentons seul c’est parce que nous sommes divisés, si nous ne faisons rien c’est parce que nous sommes désarmés. Ce n’est pas pour eux que j’adresse ces paroles, je veux écrire pour vous, pour ceux qui me liront, pour ceux que ça touchera, pour vous dire : c’est important de prendre conscience de l’injustice, et des horreurs que les hommes font subir à d’autres, c’est important de comprendre que notre indulgence, que notre indifférence nous rendent responsable, c’est important d’y croire : nous pouvons changer les choses, nous en avons la force et les moyens. Toutes ces rencontres et à chaque fois cette même question : « mais qu’est ce qu’on peut faire, nous, là, maintenant ? ». Et je ne sais pas quoi répondre.
J’aurais voulu donner une réponse claire et précise, un plan, une stratégie d’action à proposer. J’avais l’impression d’avoir devant moi les véritables soldats de l’avenir, prêt à lutter pour leurs frères exilés, prêt à se battre pour un
avenir commun. Ce texte est naïf et pleins de bons sentiments je m’en rends compte et je m’en fiche, j’ai envie de mettre des mots sur ce que nous avons ressenti. J’ai lu ce texte que j’avais écrit pour mon ami Abdullahi Bah, quand il a appris que sa demande d’asile avait été refusée. J’avais écrit ce texte en me disant qu’il
ne pourrait jamais être lu. Ces quelques phrases que j’avais jeté confuses sur ma feuille, je ne pensais pas qu’elles pourraient un jour s’adresser, être adressées. Vous êtes venus à 30 envahir le hall, votre prof trainait encore des pieds que vous étiez déjà installés devant moi, sur les tables et sur les chaises, prêts à entendre. J’ai eu la sensation de lire dans vos regards : maintenant tu vas nous expliquer. Et c’était un peu impressionnant. Les questions sont venues rapidement, vous aviez vu l’expo la veille sans moi, vous étiez revenus aujourd’hui pour exiger des explications. D’abord les faits, l’envie de comprendre le phénomène, ce système auquel nous appartenons : pourquoi on accepte ou non une demande d’asile, pourquoi on part de là-bas, comment on vient, et qu’est ce que c’est que cette patience, et pourquoi ces papillons. Et puis le texte. Dès les premiers mots, le silence qui s’installe, un silence
opaque et tendu, un silence qui résonne. Silence de cathédrale.

N’arrêtes pas les pas de celui qui passe devant toi,
Celui qui passe sans papiers,
Celui qui part
Je lève mes yeux de la feuille et je plonge dans les votre. Je vois la diversité de notre espèce, réunie dans le même désarroi. Vous tous, et toutes vos différences. Tu mets ta tête dans tes bras, tu regardes le sol, tu essayes de ne pas laisser monter en toi ce sentiment de lassitude, cette envie de tout casser. Tu laisses couler les larmes, tu as envie de ne pas y croire. Tu laisses résonner les maux dans ta tête et tu ne sais plus quel mot tu pourrais
répondre à tout ça Tu restes immobile, le regard dans le vide, incapable de bouger.
Tu sors faire un tour dehors pour mieux respirer. Tu me regardes et tu me fais pleurer. Ce n’était pas grand chose tout ça. Des photos, des paroles et puis des larmes. Mon envie de vous dire, de ne pas avoir peur, tout en étant terrifiée moi même. Et ce moment de communauté, ce silence dans lequel nous avons constaté notre
absence de réponses, mais aussi notre union. J’ai eu cette impression réelle, que mon discours prenait tout son sens, et pour une fois depuis longtemps je ne me sentais plus seule. Nous étions là, silencieux,
nous ne savions plus quoi dire et pourtant, j’avais l’impression que nous n’avions jamais été aussi forts, nous, inconnus, connaissances, amis, Nous, « la jeunesse » comme ils disent. Ne jamais croire que nous ne pourrons rien y faire. Tout est possible, Tout est à réinventer, et nous en avons les moyens. « Changer notre société », je sais que nous en rêvons tous et que l’idée paraît trop grande. Les idées ne sont jamais trop grandes. C’est en commençant à penser comme ça que nous accepterons d’abandonner. Il faut penser grand et agir petit, l’échelle individuelle et humaine, cote à cote, voisins à voisins, frères à frères, c’est par là qu’il nous faudra commencer ! Ne nous donnons pas d’excuses, refusons d’être cette génération de honte et d’indifférence. Nous sommes nombreux à vouloir la même chose, nombreux à refuser les mêmes choses. Rien n’est insignifiant, rien n’est suffisant non plus, rien n’est important et tout importe à la fois, nous sommes tous capables de changer quelque chose, De changer ce que nous refusons d’accepter.

Lisa Barthélémy
Samedi 11 mars 2017

Presentation de l’exposition

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